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La pêche du black bass au Maroc

Dans 2 jours je raterai l’ouverture de la truite, rendez-vous auquel j’ai été immanquablement fidèle ces 20 dernières années. Embarquement pour un vol de près de 3 heures en direction de Casablanca où Stéphane m’attend de pied ferme. Jean Luc et Jean Yves nous rejoignent dans la soirée, pas de temps à perdre, nous sautons dans la voiture de Georges et prenons la direction du Sud-Est et de Zaouiat Cheikh via Beni Mellal, province à laquelle appartient la localité où nous passerons une semaine. Au programme : la pêche du black bass au Maroc, précisément dans un lac situé à la base de la face occidentale du Moyen Atlas.

Pêche sur un lac de barrage : Ahmed El Hanssali

Ahmed El Hanssali est un lac de barrage récent puisque sa mise en service ne date que de 2002. Il est situé sur le cours de l’Oum Er R’bia, second fleuve marocain, dont les magnifiques sources sont réputées pour la pêche à la truite et dont les barrages de Bin El Ouidane et d’Al Massira, situés en aval ont déjà eu leurs lettres de noblesse auprès des pêcheurs de black bass.

Mais revenons à Ahmed el Hanssali, son volume de retenue maximale est de 740 de m³ pour une profondeur allant jusqu’à 100 m et une centaine de kilomètres de rives. Notre contact sur place c’est George, un français qui réside au Maroc depuis presque 10 ans. George est l’amodiataire du plan d’eau. Le système d’amodiation se rapproche de ce qu’on connaît au Canada sous le nom de pourvoirie. Concrètement, il s’agit d’un système par lequel une autorité publique affecte à une personne (morale ou physique) un espace normalement inaliénable (domaine public) pour une durée déterminée. Il appartient ensuite à cette personne d’y gérer la pêche (professionnelle ou de loisir) ainsi que la navigation. D’après ce que j’avais entendu, le Maroc n’est réellement intéressant pour la pêche que dans le cadre de ces espaces amodiés. D’autres cours d’eau ou plans d’eau sont publics mais très pauvres en terme piscicole du fait d’une pression de pêche extrêmement importante.

Le début d’année 2009 ayant été exceptionnel au niveau météorologique (pluie, neige et froid), même les locaux en avaient perdu leurs repères. Les proches sommets du Moyen Atlas étaient encore enneigés, le paysage habituellement aride et pauvre en végétation tendait cette fois vers la luxuriance, ces collines rocailleuses exceptionnellement vertes et couvertes de fleurs, de chèvres et de moutons avaient même parfois un air d’Irlande, les oueds gorgés à la limite de leur lit crachaient une eau boueuse en raison du ruissellement des fortes pluies récentes. La fonte des neiges et ses apports importants d’eau froide n’étaient pas là pour arranger les choses non plus. En bref, le barrage, normalement cristallin était baigné d’une eau très chargée.

Nous avons alterné pêche du bord et pêche en float tube avec une préférence finale pour la première qui nous aura permis de couvrir beaucoup plus de terrain, en particulier sur ces collines abruptes vous offrant un promontoire d’exception pour localiser postes et poissons. Il faut dire aussi que le plaisir de marcher au travers d’espaces éloignés de toute route et de toute civilisation moderne a largement pimenté la pêche du black bass au Maroc. Jean Luc, Jean Yves et Stéphane font partie de ces personnes qui savent apprécier à sa juste valeur la pratique d’un tourisme halieutique hors des sentiers battus, une canne à la main ; mélange de randonnée, de pêche et d’aventure, le tout saupoudré d’une volonté farouche de s’imprégner largement des paysages, de la nature, des modes de vie et des ambiances.

De ce côté-là on a été servis avec des virées à la limite du trekking afin de rejoindre une anse prometteuse, une arrivée d’Oued… Monter et descendre des collines de pierres, parfois nues et friables, parfois couvertes de fleurs dont on ne sait comment elles trouvent la matière à pousser. Sans cesse nous aurons croisé ces troupeaux de moutons et de chèvres guidés par des bergers berbères, ces tortues d’eau ou de terre, ces lézards, ces insectes et ces serpents (attention aux vipères et aux scorpions).

Pour ma part j’avais accueilli avec plaisir l’idée de ce voyage de peche dans le but de couper un peu avec le travail, le bureau et la vie citadine qui, à trop forte dose, commençaient à devenir dangereusement abrutissants. Cette semaine, ce cadre, cette nature, ces senteurs, cette dépense de soi et cette communion avec un environnement encore en partie préservé de la perversion de l’homme moderne, je les considère aujourd’hui comme une bouffée d’air qui m’était salutaire en cette période de trêve halieutique où le téléphone, l’ordinateur, la voiture et toutes ces choses de la vie courante avaient réussi à prendre le pas sur cet amour profond que j’ai de la nature et des êtres qui la peuplent. Mais faisons donc trêve de considérations philosophiques sur les modes de vie et la façon que nous avons de les appréhender, si j’ai pris la direction du Maroc c’est la pêche qui m’y a guidé, alors puisque c’est pour ça que vous me lisez, parlons-en !

Ahmed el Hanssali est un lac accessible depuis une route sur sa rive gauche (située à gauche quand on se dirige vers l’aval). La rive opposée, la plus découpée et à mon avis la plus poissonneuse, est par contre éloignée de toute voie de circulation. La seule façon de pêcher efficacement ce plan d’eau est donc de le traverser en bateau. Une prospection minutieuse des rivages et des bordures d’îles est à privilégier. Il faut aussi essayer de cibler les zones où l’on retrouve un maximum d’obstacles et de postes. À ce petit jeu-là, ce sont les anses dans lesquelles débouche un oued ou un simple filet d’eau qui sont les plus intéressantes. Cet apport d’eau dans un milieu très sec est en effet garant de la présence de quelques arbres, noyés depuis la récente mise en eau du plan d’eau, artificiel. Le fort niveau d’eau (95 % de remplissage contre les 50 % habituel) ne nous aura pas aidés à trouver les poissons, bien plus dispersés qu’à l’accoutumée si l’on en croit l’avis des locaux. L’absence de pêcheurs dans nos contacts sur place ainsi que l’immensité du lac nous aurons également fait perdre un temps précieux dans la recherche des zones de présence des blacks bass. Au final nous n’aurons pêché correctement que durant 2 journées.

La pêche aux blacks bass au Maroc commence

Avant d’arriver sur place j’avais pour crainte celle de trouver les black bass sur les nids. Leur pêche aurait ainsi perdu en éthique comme en intérêt tant on sait à quel point ils sont alors faciles à capturer.

À vrai dire, j’espérai qu’ils aient terminé de frayer et de garder les nids. En réalité la reproduction n’avait pas encore commencé et les premiers black bass commençaient seulement à se rapprocher des bordures pour repérer les zones propices à leurs amours. Leurs périodes d’activité étaient très réduites (2 à 3 heures maximum) au cours de ces 2 journées. Les créatures, tubes et les leurres souples de type senko ou slug nous aurons permis de faire réagir les poissons en pêche à vue tandis que les crankbaits et les imitations d’écrevisses (pourtant absentes du plan d’eau) auront payé quand les poissons évoluaient trop profondément pour que nous puissions les repérer. Aucune couleur et aucun modèle de leurre ne se seront vraiment dégagés durant le séjour. Visiblement les black bass se nourrissaient principalement de perches soleil et d’insectes. L’absence nette de jeunes individus nous fait aussi songer à un fort cannibalisme, à moins qu’il ne s’agisse d’un rythme de grossissement exceptionnel. La taille des seuls petits black bass que nous ayons vus ne correspond pas aux « standards » français et nous pousse même à nous poser la question d’une double reproduction dans l’année (à l’automne et au printemps ?).

Mais revenons à la pêche, nous (surtout moi en fait) avons décroché un nombre hallucinant de poissons, pouvons être du fait de notre position souvent largement surélevée qui poussait les black bass à multiplier les chandelles lors du combat, sûrement aussi en raison de la difficulté de ferrer efficacement un poisson comme celui-ci, qui, selon les cas, pince le leurre du bout des lèvres ou l’engame profondément pour le recracher presque instantanément. Au final nous n’avons capturé qu’une cinquantaine de poissons soit une moyenne d’environ 2 poissons par jour et par pêcheur. Par contre nous avons été très agréablement surpris par la taille des poissons capturés (moyenne supérieure au kilo) et des poissons observés.

Ce lac abrite à coup sûr des poissons record et dispose d’une densité exceptionnelle de black bass de plus de 40 cm. Je peux vous assurer avoir vu des poissons d’environ 60 cm alors que le plus gros que nous ayons mis au sec accusait 54 cm. Nous avons entendu parler de source sûre d’une capture par un pêcheur local d’un poisson de 3,8 kg… Vidé.

Que vous dire de plus ? Peut-être que devant la difficulté de gérer rentablement la pêche commerciale (cf plus bas), George, l’amodiataire du plan d’eau, a dans l’idée de proposer prochainement des séjours de pêche du black-bass pour les pêcheurs sportifs français. C’est d’ailleurs un petit peu la raison de ce sejour de pêche à cet endroit précis, George voulait nous faire tester le séjour avant de l’ouvrir officiellement. Nous lui avons bien entendu fait part de nos remarques et de quelques conseils sur les améliorations à apporter à sa prestation.

Outre le cadre et l’ambiance, le bon point du séjour concerne l’hébergement et les repas (locaux bien évidemment)… Vraiment, on a été accueillis comme des rois par une équipe sympa et on s’est régalé, génial. En ce qui concerne la prestation sur l’eau maintenant, nous avons vraiment regretté l’absence d’un pêcheur dans l’équipe d’accueil. Nous aurions aimé disposer d’assez de renseignements pour ne pas perdre 2 jours à trouver les zones propices. Un mauvais point aussi concernant la navigation : panne d’essence, retour fastidieux à la rame, bateau qui prend l’eau, navigation impossible ou à la limite extrême de la sécurité dès que le vent souffle seront des problèmes à régler absolument avant que le centre ne reçoive ses premiers clients… Mais rassurez-vous, George est maintenant au courant des réglages qu’il doit mettre en œuvre pour lancer la machine. Notre mission est remplie…

Je dois aussi vous parler d’un second lac de barrage : Aït Messaoud, plus petit (13.2 millions de m³), situé en aval. Ce barrage était beaucoup trop sale pour que nous puissions y pêcher lors de notre séjour, et une demi-journée là-bas aura suffi à nous décourager, mais de l’avis de George et de Jean Luc (qui s’y était déjà rendu en 2008), la population de bass y est vraiment intéressante et le plan d’eau, même s’il s’inscrit dans un paysage beaucoup moins plaisant, demeure très intéressant à pêcher dès lors que la pêche à vue y est possible. George est également amodiataire de ce plan d’eau et voudrait l’utiliser de façon régulière pour ses prestations pêche.

Une forte pression de pêche sur le lac Ahmed el Hanssali

Il faut que ceux d’entre vous qui désireraient se rendre à Ahmed el Hanssali sachent que ce lac subit une pression de pêche très forte (contrairement à Aït Messaoud). Des dizaines, voir des centaines de kilomètres de filets quadrillent le lac, certains sont destinés à la carpe (amour argenté), d’autres au black bass. La vue de ces filets est parfois vraiment décourageante et arrive même à rendre la navigation compliquée. Le dimanche, ce sont les pêcheurs du bord qui envahissent les abords du plan d’eau au point qu’on s’en demanderait presque si un stupide lâcher de truites arc-en-ciel (petite pensée à certaines de nos APPMA françaises qui préfèrent soigner le pêcheur que le milieu) n’a pas été effectué la veille.

« Si le lac est surpêché et que la pêche commerciale met à mal le développement de la ressource c’est que l’amodiataire fait mal son travail », me direz-vous. C’est aussi ce que nous avons pensé, puis nous en avons discuté avec le principal intéressé et surtout nous avons constaté dans quel état de misère vivaient les pêcheurs locaux. Au Maroc, l’équivalent du Smic est d’environ 1900 dirhams soit 190 euros par mois, et dans la région où nous nous trouvions, ce salaire minimum ne semble pas plus respecté que ne l’est la ressource. En bref, on se retrouve sur l’eau aux côtés de pêcheurs qui n’ont pour embarcation que des chambres à air bricolées ou des bateaux construits à base de tôle goudronnée, des pêcheurs qui marchent avec des chaussures en lambeaux, qui pêchent au rapala lancé et animé à la main, faute d’argent pour acheter une canne et un moulinet. On est loin ici des souks de Casablanca, des hôtels de luxe de Marrakech, des villes comme Tanger ou Ouarzazate.

Conclusion

Le Maroc est un pays aux nombreux visages et aux contrastes énormes, je ne m’attendais pas à trouver là-bas une telle pauvreté. Interdire à ces pêcheurs berbères le droit d’exploiter le lac c’est augmenter encore la misère dans laquelle ils vivent, c’est aussi s’exposer à une incompréhension totale de leur part. Voilà 10 ans, ils pêchaient dans l’oued qui courrait dans la vallée. Aujourd’hui, un barrage a été construit, mais leur habitude de se nourrir et de commercialiser des produits de la pêche locale est antérieure à ce barrage et à cette amodiation. On peut bien évidemment rêver à la masse de black-bass qui peupleraient ces eaux si la pêche pro n’y existait pas mais on ne peut vraisemblablement rien faire pour arrêter ce mode de pêche à court terme. Éthiquement c’est tout simplement impossible, il ne s’agit pas là de quelques patrons de bolincheurs bretons qui vivent très confortablement. Ici les pêcheurs locaux tapent sur la ressource pour pouvoir manger le soir, pas pour s’acheter une voiture de sport comme c’est trop souvent le cas chez nous.